Séphara𝑏e
Recettes identitaires de descendants de juifs tunisiens et irakiens en France
Isabelle Urbah / illustrations : Julie Flam • 4 décembre 2025
Isabelle Urbah est à moitié sépharade, et à vrai dire à moitié arabe. Ce duet sépharade-arabe semblait aller de soi dans son enfance, mais elle se rend compte que ça n’est pas toujours le cas autour d’elle. Alors elle s’interroge. Y’a-t-il une identité juive-arabe ? Que signifie la revendication ou le refus de ce terme arabe ? Quelle charge porte ce mot « arabe » ? Au travers d’entretiens avec des Juifs d’Afrique du Nord ou d’Irak, de première ou de deuxième génération, elle trace ce que pourrait être une arabité juive, en sachant cependant quel lit de Procuste l’arabité peut être pour les Juifs.
Je suis née d’un père ashkénaze et d’une mère sépharade. En CP, quand j’explique à ma maîtresse que je suis juive et arabe, elle me regarde abasourdie et rétorque que c’est impossible ; dans le débat public français, dans l’imaginaire collectif, ce sont deux identités tout à fait irréconciliables, à tout le moins disjointes. En France plus particulièrement, être juif, ça voulait dire être victime de la Shoah. Être arabe, c’était être un immigré. Moi, je me sentais les deux.
Au début des années 2000 puis en 2023, l’Intifada puis les attentats du 7 octobre et la guerre qui a suivi ont ravivé l’antinomie des termes « juif » et « arabe », dans le discours général et dans la rhétorique communautaire. C’est ce qui m’a motivée à comprendre pourquoi ces identités semblaient aussi antithétiques, notamment au sein du judaïsme sépharade. Je suis donc partie à la rencontre de juifs et juives issus de Tunisie et d’Irak, de 1ere ou de 2e génération d’immigration.
Pour dresser un portrait collectif de cette arabité et des rapports à l’identité juive ou arabe, j’ai ainsi interrogé Rosaline, née dans le sud de la Tunisie à la fin des années 1950, et qui a fui en 1971 ; sa fille, Amandine, née en France, dans les années 1990, d’un père juif français ; Jonas, né en France, de parents irakiens, dans les années 1970 ; Marc, né en France, de parents tunisiens (de Tunis même !), dans les années 1980.
Comment les descendants de juifs originaires des pays arabes négocient-ils leur identité ? Quand et pourquoi se revendiquer arabe ou sépharade ? Quels autres termes mobilisent-ils face aux injonctions contradictoires d’intégration et de préservation ?
I. La recette des parents et la saveur du paradis perdu : nostalgie, silence et intégration
La première chose qui me frappe, c’est l’uniformité des témoignages livrés par la 1ere génération d’immigration, quelles que soient les circonstances du départ : la terre natale est un pays de lait et de miel, un paradis perdu, un jardin d’Eden abritant les fruits juteux, une enfance heureuse à l’ombre des dattiers. On croirait presque lire dans le texte des extraits du récit biblique racontant une Jérusalem prospère. La mention du pays d’origine, que ce soit la Tunisie ou l’Irak, suscite beaucoup de tristesse et jamais de colère. On parle avec nostalgie de l’abondance, d’une vie douce.
Les témoins savent que ce qui est perdu ne sera plus jamais. Rien ne sert d’y retourner, le pays a changé. Pour Jonas, juif irakien, le pays les a rejetés. Jonas et Rosaline parlent tous les deux « d’arrachement ».
Le récit des émeutes qui ont causé les départs, le Farhoud de 1941 à Bagdad ou les manifestations antisémites de juin 1967 durant la Guerre de Six Jours, n’arrive que bien plus tard dans les récits aux deuxièmes générations, parfois indirectement, non pas par les parents mais par un oncle pour Jonas.
À Bagdad, Chavouot 1941 est perçu par la propagande antisémite comme une célébration de la victoire britannique sur les troupes irakiennes, propagande antisémite solidement ancrée dans le territoire par le gouvernement pronazi qui avait renversé le régent en avril de la même année. Entre le 31 mai et le 2 juin 1941, au moins 150 Juifs furent assassinés, des femmes violées et des magasins pillés.
Après ce pogrom, les oncles et tantes de Jonas obtiennent un visa pour les Etats-Unis mais pas son père qui se rend alors en France, désireux de « découvrir autre chose que l’Empire britannique ».
À Tunis, c’est la Guerre de Six jours qui embrase la foule. Les magasins sont pillés et la Grande synagogue de Tunis saccagée. Les témoins de 1ere génération sont unanimes : quand ils ont été épargnés, c’est grâce aux associés ou aux voisins musulmans en écrivant « Magasin arabe » sur la devanture et en se mettant en travers du passage des émeutiers, armés des couteaux des boucheries cashères, en affirmant, pour les protéger, qu’il n’y a pas de juifs ici.
Mais Rosaline, issue d’une famille du Sud installée à Tunis, précise : « Mon père a payé cette protection, il a toujours œuvré en prévision d’une telle éventualité. Il payait les dettes de ses voisins sans jamais demander son dû. » Elle se souvient aussi que son père avait prévu de l’empoisonner, elle ainsi que ses quatre grandes sœurs, afin d’éviter qu’elles soient violées devant leurs parents si les manifestants parvenaient à pénétrer dans l’appartement barricadé avec un buffet. Cela, elle n’en a parlé qu’après le 7 octobre. Avant, elle ne voulait pas transmettre la haine et la rancœur, d’où ne sortent jamais rien de bon. Elle considérait aussi cette expérience comme dérisoire par rapport à celles des juifs qui avaient connu la Shoah. Elle aurait eu honte de se plaindre de son sort. Plus aujourd’hui, elle considère que c’est important de ne pas se voiler la face.
Ce récit n’est pas aussi traumatique pour les juifs tunisiens les plus francisés comme les parents de Marc, qui quittent tous deux la Tunisie d’abord pour les études et non pas pour fuir un danger imminent – puisqu’ils atteignent l’âge adulte un peu plus tôt, avant 67. Eux ne parlent quasiment pas l’arabe et ne résident pas dans les mêmes quartiers. Ils arrivent en France pour aller à l’université dont ils maîtrisent la langue et les codes et rejoignent immédiatement la communauté juive tunisienne autour de Belleville où ils recréent leur milieu d’origine.
Quand Rosaline fuit avec une valise en carton pour faire semblant de ne partir qu’en vacances, elle est accueillie en France dans une institution loubavitch où elle découvre des camarades ashkénazes. A leurs yeux, elle est une arabe alors qu’en Tunisie, elle se considérait comme juive du Sud – de Djerba. Sa peau blanche joue cependant en faveur de son intégration, au même titre que son travail acharné pour apprendre le français.
Jonas en témoigne également pour son père : la couleur de la peau était un facteur d’ascension sociale, que ce soit sous la domination ottomane, française ou britannique, et un facteur d’intégration non négligeable une fois arrivé en France.
Pour tous d’ailleurs, l’arrivée en France, c’est l’adoption pleine et entière de sa culture : à Rome, comme les Romains, sans pour autant mettre sa judéité et ses spécificités de côté. « En tant que juifs, on sait faire ça, on est des migrants professionnels » plaisante Amandine.
Pour autant, chacun s’approprie cette culture à sa manière : la famille de Jonas embrasse l’universalisme français, ses valeurs républicaines tandis que Rosaline craint qu’une adhésion complète endorme sa conscience de rester une minorité. Ce sont de belles idées mais elle attend de voir comment elles s’appliquent. « Ici comme ailleurs, il faudra bien partir un jour. »
Comment la 2e génération s’est-elle ou non saisie de ces récits ? Au-delà de ce récit, qu’est-ce qui fait se sentir arabe ou non ?
II. À la carte : transmettre la culture, négocier la tradition, accommoder les restes
Dans l’intimité du foyer, les trois enfants d’immigré·e·s témoignent de la même chose : les récits nostalgiques du pays perdu sans espoir de retour, les odeurs et les saveurs de la cuisine locale, et les mélodies de la musique arabe, voilà ce qui les rattachent directement et sensiblement aux origines de leurs parents. Ils apprécient la sonorité de la langue, sa calligraphie, son architecture. Jonas affirme même « se sentir plus à l’aise dans une mosquée que dans une église ». On n’a pas honte de cet héritage qui ne nous retient nulle part.
Si chacun est très fier de ses origines, elles ne sont pas toujours appréhendées de la même manière, et cela varie aussi selon le milieu social. Pour Marc, qui grandit dans un milieu juif majoritairement sépharade, qui va à l’école juive, c’est l’identité spécifiquement tunisienne qui ressort. Il s’agit de se distinguer des Marocains et des Algériens qu’il côtoie au quotidien. La question juive, arabe, ne se pose absolument pas. Il est juif tunisien.
Pour Jonas et Amandine qui ont tous deux fréquenté l’école publique dans le 15e arrondissement de Paris, un quartier favorisé, blanc et catholique, c’est un attachement à une identité plus globalement arabe qui s’exprime. Ils se sentent proches de leurs camarades d’origine maghrébine ou moyen-orientale avec qui ils partagent un même substrat culturel, des références communes et mais aussi un sentiment de décalage par rapport à la culture majoritaire à laquelle ils adhèrent pourtant.
Tous les deux disposent d'une blancheur phénotypique, un capital visible qui leur a permis de ne jamais souffrir de racisme au faciès. Ils ont pleinement conscience de cet avantage social sans lequel leur destin aurait été plus difficile. Amandine s’aperçoit très jeune qu’elle ne subirait pas le même traitement de ses professeurs s’ils savaient qu’elle avait des origines maghrébines en observant ceux réservés à ses camarades. Avec son prénom bien français et son nom de famille sans connotation, elle sait qu’elle échappe à bien des discriminations. Pour elle, cette expérience de racisme de seconde main est essentielle son rapport « solidaire » à l’arabité, transmis directement par sa mère Rosaline, elle-même consciente de son privilège blanc.
Chacun a aussi en tête une partie repoussoir de cette culture. Si Marc regarde avec tendresse La vérité si je mens où il retrouve des personnes de son entourage, c’est avec dégoût qu’en parle Rosaline. Il s’agit pour elle d’une représentation méprisante qui dessert sa communauté en présentant les juifs sépharades comme des voleurs et des menteurs alors que sa famille, comme celle de Jonas, devaient leur succès commercial à leur probité proverbiale. A l’inverse des représentations de juifs sépharades très expansifs et émotifs, Rosaline retient de sa culture la capacité à « comprendre sans qu’on dise », une communication qui passe par des gestes, des regards et des silences éloquents.
Amandine, sa fille, peine d’ailleurs à trouver sa place dans cette communauté :
« Quand, enfant à la synagogue consistoriale de mon quartier, je côtoyais des juifs sépharades, eux aussi issus du Maghreb, je me sentais très lointaine, presque étrangère. Notre judaïsme n’avait pas grand-chose à voir : chez moi, on chuchotait pour parler d’Israël, on valorisait « la tenue, la retenue et le contenu », tout le contraire de l’expansivité chaleureuse et du bagout propres aux sépharades.
Cette culture qui me rapprochait de mes camarades maghrébins en classe m’éloignait de mes coreligionnaires à la synagogue.
Et puis, ils parlaient des « Français » pour parler des chrétiens et des « arabes » pour parler des musulmans et des maghrébins alors que moi, je me sentais tout à fait française par mon éducation, par mon père et arabe par ma mère. Je ne comprenais pas du tout le rejet de ces identités dans l’altérité. »
Un certain « traditionalisme » religieux est souvent associé, à tort ou à raison, à la culture sépharade dans les imaginaires des interrogés, et constitue un point d’achoppement. Dans son adolescence, Marc perçoit les rituels « arriérés » comme « tunisiens », même comparés à d’autres pratiques sépharades. Face aux pratiques du Consistoire – qui, par sa structure, incarne l'expression majoritaire et institutionnelle d'un judaïsme traditionnel en France – la famille de Jonas quitte l’institution en raison de l’absence d’égalité pour la Bat et la Bar Mitsvah, et intègre le mouvement libéral. Amandine rejoint le mouvement Massorti où il lui est plus facile de suivre la prière grâce à un siddour plus pédagogique et à la possibilité d’être, comme les hommes, sur le même plan et de participer à l’office.
La séparation homme-femme et le traitement différencié des Bar/Bat Mitsvot sont des pratiques du judaïsme orthodoxe/traditionnel, indépendantes de l'origine géographique. Elles sont cependant perçues par les témoins comme faisant partie de la culture juive sépharade française majoritaire et visible, qui domine l'espace consistorial, d'où le sentiment de rejet.
Ainsi donc, la culture arabe ou sépharade se transmet de façon très similaire dans l’espace privé mais c’est une expérience très distincte dans l’espace public, dans le milieu notamment scolaire, qui forge l’attachement ou non à une identité arabe. Paradoxalement, c'est dans les milieux les plus mixtes (école publique, quartiers non-juifs) qu'émerge une identification à une arabité globale, là où elle se dissout dans les milieux juifs sépharades plus homogènes en identités nationales particulières (tunisienne, marocaine, algérienne) et pensées comme distinctes de l’identité arabe qui lie les musulmans du Maghreb.
Dans l'espace public, cette culture se confronte à ses propres stéréotypes. La représentation des juifs sépharades force chacun à se positionner. Ces stéréotypes pèsent d'autant plus qu'ils s'articulent à un traditionalisme religieux dont certains codes – inégalités de genre, conservatisme social – sont perçus comme des héritages encombrants.
Cependant, revendiquer une identité arabe se heurte à de véritables difficultés tant cette identité est insaisissable. Car au fond, qu’est-ce que ça veut dire être arabe ?
III. Les ingrédients impossibles : la langue perdue et le conflit israélo-palestinien en travers de la gorge
Outre le récit idyllique du pays d’origine, la transmission par la musique et la cuisine, le dernier point commun pour les 2e générations interrogées résident dans l’abandon systématique de la langue arabe. Les explications diffèrent : pour certains comme Marc, ses parents ne maîtrisaient pas eux-mêmes cette langue. Pour d’autres, c’est au nom de l’intégration que la langue est perdue, intégration dans une famille mixte ashkénaze et sépharade, ou plus largement dans une société française où l’arabe comme langue et comme culture est largement méprisé.
Amandine le ressent comme une perte sèche. « Ma mère redoute toujours que nous ne maîtrisions pas les codes de cette culture, et le fait de ne pas parler la langue, ça n’aide pas à se sentir légitime. » Or il est vrai que s’il est une façon de définir facilement le monde arabe, outrepasser les nuances culturelles, religieuses, géographiques, c’est bien une langue en partage, dépositaire de savoirs culturels substantiels.
Pour Marc, pour qui l’arabité n’est pas une question, c’est la langue hébraïque qui véhicule son héritage auprès de son fils, à la fois le judaïsme et une part de cette culture orientale, en complément de la musique arabe, de la cuisine juive tunisienne ou de la cuisine juive tout court.
Jonas, lui, ne s’est pas vraiment posé la question d’une transmission structurée. Son origine est un fait, au même titre que son âge et ses goûts. Il imagine que ses enfants l’ont intégrée.
A l’inverse, cette transmission est au cœur du cheminement d’Amandine qui essaie de dessiner les contours de cette identité pour pouvoir en transmettre une part à son tour, en toute lucidité. Elle veut pouvoir choisir ce qu’elle transmettra, sans masquer les aspérités de l’histoire. Mais tout cela est flou pour elle et elle se sent d’autant plus démunie qu’elle baigne dans un milieu de gauche où les juifs sont désormais perçus comme des blancs oppresseurs par le prisme d’une unique analyse coloniale d’Israël. Or elle ne s’est jamais sentie « faire partie de la majorité » malgré son adhésion totale à la culture française.
Depuis le 7 octobre, elle se retrouve tiraillée et se questionne sur les mots à utiliser : arabe ? oriental ? méditerranéenne ? sépharade ? sépharabe ? Elle ne sait plus très bien. Elle se demande si revendiquer l’arabité est un pas vers la paix ou bien une appropriation vaine et maladroite.
Rosaline a trouvé sa solution en se désignant désormais en tant que judéo-arabe afin de combiner d’un côté son expérience en Tunisie où jamais elle n’aurait été identifiée comme arabe – ni par elle-même, ni par les « arabes » – et où malgré des relations cordiales, les communautés restaient séparées, et de l’autre son expérience en France où elle s’est sentie proche de ces immigrés maghrébins qui n’avaient pas forcément bénéficié des mêmes chances qu’elle, d’un réseau de solidarité bien implanté et de la blancheur de peau.
Comme Marc, quand il rencontre en classe préparatoire des non-juifs maghrébins, majoritairement des Marocains, bourgeois, francisés, privilégiés : il retrouve avec eux la chaleur, la générosité, l’attachement familial, l’absence de consommation de porc aussi, qui les distingue des étudiants français, blancs, athées et même des autres étudiants étrangers. Ces Marocains n’ont cependant pas connu les discriminations du système scolaire français dans leur enfance, à l’instar des Français issus de l’immigration maghrébine.
Mais désormais, Rosaline tient à sa part « judéo » pour conserver une distinction puisque même dans la cuisine ou dans les motifs du henné, musulmans et juifs conservent des spécificités. La mloukhya est en partage, pas la pkeila. Après le 7 octobre, elle a eu besoin de se distancier de cette arabité qu’elle a pourtant portée et transmise à ses enfants. Le conflit a ravivé des blessures, des traumas, et réactivé une méfiance et une distance.
Un arrière-goût qui subsiste
Comment les descendants de juifs tunisiens et irakiens négocient-ils leur identité ? La réponse tient dans un paradoxe : ils la négocient d’autant plus qu'elle leur échappe.
La transmission d’une culture spécifique s'est faite malgré tout – par la musique d’Oum Khalsoum, les bricks au thon, l'hospitalité chaleureuse – mais sans la langue qui aurait pu ancrer cette culture dans une pratique plus vivante encore. Ce qui reste, ce sont des attachements sensibles, des réflexes corporels, un sentiment diffus d'appartenance à « quelque chose » qu'on ne sait pas nommer. Arabe ? Tunisien ? Irakien ? Le terme varie selon qu'on grandit dans un milieu juif homogène ou au contact d'un collectif arabe non-juif. Paradoxalement, c'est dans les espaces les plus mixtes ou assimilés que l'arabité globale s'affirme dans une distanciation avec la culture sépharade telle qu’elle est représentée dans les médias, là où elle se précise en identités nationales particulières dans les milieux communautaires majoritairement sépharades.
Cette flexibilité identitaire repose sur un facteur non négligeable : leur blanchité visible. Elle leur confère la capacité de choisir la mise en avant de leur identité – se dire arabe, tunisien ou irakien – et de bénéficier d'une solidarité culturelle sans subir le racisme au faciès. Cette conscience d'un « privilège de la peau » traverse les générations... Ce paradoxe, essentiel, teinte leur rapport à l'arabité d'une forme de scrupule : peut-on légitimement revendiquer une identité dont on n'endosse pas les violences racistes ? Une identité dont on est rejeté ? Une identité qui n'est peut-être pas la nôtre ?
Depuis le 7 octobre, cette question n'est plus seulement intime. Revendiquer une identité juive-arabe expose désormais à la suspicion des deux côtés : se dire arabe est une véritable aberration pour certains juifs même sépharades, et devient impossible pour une certaine frange de la gauche radicale ou décoloniale qui, par le prisme du conflit, assigne les Juifs à la catégorie de la « blancheur occidentale et oppressive » et refuse de complexifier l'équation coloniale. Pour ceux qui, malgré leur blancheur, ne se sont jamais sentis appartenir à « la majorité » en France, cette assignation est non seulement sidérante, mais dévastatrice.
La question reste ouverte : peut-on se dire juif·ve et arabe ? Est-ce légitime ? Est-ce souhaitable ? Et pourquoi le faire ? Peut-être est-ce simplement la tentative obstinée de nommer une expérience que l'Histoire a rendue indicible, mais que la mémoire familiale et individuelle refuse d'effacer tout à fait.
Engagée pour la transmission du judaïsme, Isabelle Urbah enseigne au Talmud Torah, forme des Bnei Mistvah et livre des drashot. En 2020, elle écrit, enregistre, monte et publie le podcast Tohu Bohu qui démocratise une approche littéraire et philosophique laïque des textes bibliques.
Elle est titulaire d'un double-diplĂ´me de l'ESSEC et de l'Ecole du Louvre.
Photographe belge, basée à Bruxelles, Julie Flam développe une pratique mêlant autoportrait, photoperformance et recherche conceptuelle. Son travail explore les notions de mémoire, de vide et de trauma, à travers une esthétique brute, émotionnelle et parfois militante. Entre tension et ambiguïté, ses images questionnent les rapports au corps, à l’histoire et à notre perception du réel. On peut retrouver ses travaux sur son site julieflam.com