La fidélité comme condition

Sur l’ascension sociale des sépharades de France

Ashley Mayer-Thibault / Illustrations : Mathilde Roussillat Sicsic

Les Juifs votent désormais à droite, dit-on, alors on cherche les causes de ce revirement dans un abandon des Juifs par la gauche. Et si les causes étaient aussi autonomes, liées à la sociologie du monde juif français, essentiellement sépharade, qui a connu une importante ascension sociale ces dernières décennies. C'est ce que se propose d'analyser le sociologue Ashley Mayer-Thibault dans ce texte. Il fait l’hypothèse d’un lien entre l’ascension sociale des sépharades de France et un impératif de fidélité au judaïsme. L’article se conclut par une invitation lancée aux « Juifs de gauche » à prendre au sérieux la question de la fidélité, tout en soulignant l’importance qu’il y a à la conjuguer avec un impératif de responsabilité. 

« Les grandes fortunes sont toujours menacées. L'histoire des juifs est pleine de ces renversements. Au contraire, l'intellectualité semble assurée de durer (elle ne peut être aussi facilement détruite que les biens matériels) et elle est un facteur de conservation. Il est très rare de voir chez les juifs la richesse se maintenir au cours de plusieurs générations. Les riches sont les plus menacés. Les juifs riches sont ceux qui exercent les fonctions les plus dangereuses. Le moyen de se procurer de l'argent était d'en procurer au prince, et ainsi les juifs se mettaient les masses à dos. Ils ne pouvaient pas compter sur la faveur du peuple ; ils dépendaient, par la force des choses, pour leur survie, du pouvoir de l'État, soumis toujours soit aux autorités ecclésiastiques, soit au prince, contre le peuple, contre les bourgeois ; leur existence était imposée par les princes. »

Gershom Scholem¹

Né à la fin des années 1980, j’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence en banlieue parisienne. Mon cas était typique de ce qui se fait de plus périphérique dans le judaïsme français : je suis né d’un père franco-britannique qui n’est pas Juif (ou tout du moins, au statut incertain) tandis que ma mère est issue d’une vieille famille entièrement sécularisée d’ « israélites », principalement d’origine lorraine. Si notre identité juive allait de soi, celle-ci était purement familiale et ne s’était pas construite dans la fréquentation d’une communauté synagogale ou d’une école juive. Ayant habité quelques années aux États-Unis, c’est surtout à l’ombre de la mémoire de la Shoah et sous l’influence d’un judaïsme américain libéral et vaguement yiddishisant que notre rapport à la judéité s’était constitué. La distance socio-culturelle qui me séparait des Juifs « communautaires » que je pouvais croiser était incontestable. Cet écart n’était pas qu’une question d’ashkénazes et de sépharades, de degré d’assimilation ou de « laïcs » et de religieux. De fait, la fracture qui séparait ma famille des Juifs français les plus visibles s’étendait également à notre condition sociale et à notre rapport à la société française. Nous étions de classe moyenne plus ou moins intellectuelle, marquée par un lent mais inexorable déclassement social. Un univers familial baignant dans un milieu culturellement et politiquement plutôt à gauche, acquis au multiculturalisme et attaché à l’école publique. À ce titre, dans les années 2000, la distance avec une partie des Juifs de ma génération que je pouvais croiser était significative. Une dissonance sociale qui pouvait se manifester par des incompréhensions, voire par du dédain. Je pense par exemple au fait qu’une partie des jeunes Juifs de l’époque avaient par exemple recréé leur propre sous-culture juvénile, les fameux « chalala », une expression que le temps a suffisamment ringardisée pour que personne n’ose l’utiliser aujourd’hui. Tout cela me semblait non seulement complètement étranger mais également ridicule. 

En réalité, issus de pôles complètement opposés du judaïsme français, tout ce qui fait la banalité des trajectoires sociales nous séparait. Il y avait, indubitablement, une part de mépris social dans mes propres représentations. Le type de mépris qui n’est pas  adressé au subalterne mais au « mauvais frère ». Celui qui vise une population proche sur le plan ethnoreligieux, mais dont l’expérience historique est inverse. Notre famille traversait une mobilité sociale descendante et tirait son identité d’un attachement au service public et à la « vraie » culture (y compris populaire). « Ils », c’est-à-dire les Juifs « communautaires », majoritairement sépharades, me semblaient se comporter en nouveaux riches. Nous avions de la famille en Grande-Bretagne et avions habité aux États-Unis, « ils » me semblaient vulgairement fascinés par une culture du spectacle et du « business » superficiellement anglo-saxonne dont ils ne connaissaient rien. « Notre » judaïsme, contrairement d’ailleurs à celui de nombreux ashkénazes, était de « vieille souche », le « leur » était caractérisé par l’expérience de la migration et du déracinement. « Notre » judaïsme (auquel c’est moi qui ne connaissais en réalité rien) était tolérant, ouvert, le « leur » était bigot et israélo-centré. « Ils » parlaient d’antisémitisme pour tout et n’importe quoi, « nous » avions vécu la Shoah. Et ainsi de suite.

Et pourtant, contrairement à nous, dont la judéité était en voie de dissolution (y compris par ces mariages mixtes dont je suis moi-même issu), ces Juifs « communautaires » étaient le cœur du judaïsme français. Plusieurs épisodes ont contribué à transformer mon rapport aux franco-sépharades « typiques ». Contrairement à certaines idées reçues, c’est d’abord grâce à des études universitaires en sciences sociales que j’ai pu avoir plus de réflexivité sur ce que mes goûts et dégoûts devaient à ma propre trajectoire. Mais surtout, il m’a fallu engager, à ma manière, un « retour » au judaïsme, où j’ai inévitablement été amené à fréquenter ces autres Juifs, pour comprendre que l’histoire de ces enfants et petits-enfants de Nord-Africains était en réalité, elle aussi et à sa manière, une histoire de survie dont nous et « notre » Shoah n’avions pas le monopole. L’obsession pour la mobilité sociale et la réussite des enfants (qui d’ailleurs avait aussi été celle de la génération de mes grands-parents et des précédentes), répondait à un impératif urgent de sécurité et de stabilisation économique après les exils d’Afrique du Nord. Et si je me doutais bien malgré tout que ce que je percevais comme une vulgarité de « nouveaux riches » n’était évidemment pas généralisable, il m’a fallu du temps pour saisir quelque chose de plus fin. Chez ceux qui s’y adonnaient, l’adoption ostentatoire de marqueurs petit-bourgeois traduisait aussi un plaisir et un soulagement d’avoir, enfin, accès aux codes (perçus comme) dominants d’une société sans barrières formelles et sociales visant les Juifs². Plus encore, il m’a fallu du temps pour comprendre à quel point l’expérience juive franco-sépharade³ était marquée par un impératif de fidélité. Forme d’orientation générale envers le judaïsme, ou tout du moins à l’image que l’on s’en fait, celui-ci est alors constitué en objet dont la préservation et la perpétuation est une fin en soi. Il ne saurait être réduit à un usage instrumental, qu’il soit politique, identitaire ou économique. Cet impératif s’accompagne également d’une reconnaissance solidaire accordée à ceux qui se sont engagés dans la perpétuation du judaïsme.

Avec le temps, l’extériorité relative de ma position vis-à-vis du « cœur » communautaire juif français m’a, je crois, offert suffisamment de recul pour constater à quel point l’impressionnante ascension sociale des Juifs nord-africains et de leurs enfants irrigue les dynamiques du judaïsme français contemporain. Or, ce qui va de soi est parfois ce qu’il y a de plus difficile à concevoir clairement. Pris dans le tourbillon des tragédies de ce début de siècle, les Juifs de France peuvent avoir tendance à ne regarder que ce qui fait crise. Il en résulte que cette histoire d’ascension sociale finit par être assez peu intégrée aux débats intellectuels ou politiques qui traversent le monde juif. On retrouve notamment les traces de cette absence dans deux discussions, en apparence assez éloignées l’une de l’autre, qui ont émergé ces dernières années. La première porte sur une « droitisation » des Juifs de France, la seconde, sur la crise d’un modèle qualifié de « franco-judaïsme ». Quelles que soient leurs réalités empiriques, ces deux thématiques renvoient à de profondes interrogations sur la condition juive française contemporaine et son avenir. Y’a-t-il une « solitude » juive, et par ce biais, un avenir pour les Juifs de France ? Les Juifs de France ont-ils oublié leur triple héritage nord-africain, est-européen et israélite pour se fondre maladroitement dans une judéité globalisée ? Sans prétendre épuiser l’ensemble de ces questions, je voudrais donc souligner deux choses dans ce texte. D’abord et en général, l’intérêt qu’il y aurait pour les Juifs à se penser comme des sujets sociaux. Ensuite et en particulier, l’importance cruciale qu’il y aurait à réancrer les discussions portant sur la condition juive française contemporaine dans le temps long de ses transformations socio-économiques, et dont l’ascension sociale des franco-sépharades est un cas paradigmatique. Enfin, tout en soulignant que l’impératif de fidélité a probablement sauvé le judaïsme français, je voudrais suggérer quelques pistes de réflexion sur l’importance qu’il y aurait à le conjuguer, dialectiquement, avec un impératif de responsabilité

Bien entendu, il n’existe pas de déterminisme absolu, de structure et de superstructure. Les forces sociales n’agissent jamais « toutes choses égales par ailleurs ». Les variables proprement politiques, intellectuelles et socio-économiques s’entremêlent et s’influencent mutuellement pour constituer le rapport au monde des personnes. Saisir l’expérience juive contemporaine, et notamment son rapport à la politique, suppose donc d’essayer de saisir comment ces forces se conjuguent. Et s’agissant d’enjeux majeurs tels que le futur de ce qui est qualifié de « franco-judaïsme » et des alliances politiques opérées par les Juifs, c’est à la condition d’une prise en compte de cette dimension élémentaire de la condition juive que ces derniers pourront développer un vrai rapport réflexif à leur propre condition. 

Un « franco-judaïsme » en crise ?

La notion de « franco-judaïsme » est récente. Elle apparaît à la fin du 20e siècle et renvoie rétrospectivement au « modèle » qu’aurait progressivement constitué un judaïsme à la française dans une période s’étendant de l’émancipation jusqu’à l’après-guerre. S’appuyant, sans s’y limiter, sur des institutions telles que l’Alliance Israélite Universelle (AIU), les Éclaireurs et Éclaireuses Israélites de France (EEIF), le Consistoire, ou, dans un autre registre, la Revue des Études Juives, il aurait été incarné par des figures aussi diverses que Zadoc Kahn, Isidore Loeb, Emmanuel Levinas, Manitou, Eliane Amado Levy-Valensi ou même le kabbaliste Charles Mopsik. En substance, il renverrait tantôt à la possibilité d’affinités positives entre francité et judéité, tantôt au rejet d’une sectorisation de la vie juive en de multiples microcosmes concurrents et autonomes. Sur le plan plus théorique, il se serait caractérisé par une volonté d’intégration épistémique harmonieuse entre les textes de la tradition, le canon philosophique et les sciences humaines qui n’implique pas nécessairement de rupture avec la tradition halakhique. Aujourd’hui, entre le ronronnement des références convenues à l’ « école d’Orsay » et la découverte de Manitou dans le nationalisme religieux israélien contemporain, le renvoi nostalgique à cet ancien « modèle », il est vrai, est loin d’être unidimensionnel. Pourtant, plusieurs acteurs tendent à porter un regard à la fois critique et mélancolique sur cet héritage, en affirmant que ce « modèle » se serait progressivement dissipé au cours des dernières décennies. Sont alors pointées du doigt les influences croisées de la société israélienne, du mouvement Loubavitch, du harédisme est-européen relocalisé et massifié en Israël, ou, plus rarement, du libéralisme à l’anglo-saxonne. Le judaïsme français contemporain serait ignorant de sa propre histoire. L’oubli de ce « modèle » irait souvent de pair avec un refoulement du passé nord-africain dont sont pourtant issus la majorité des Juifs français. 

Si différents auteurs contemporains affirment vouloir exhumer l’essence du « franco-judaïsme », ces discussions sont loin d’être cantonnées à un pur exercice mémoriel. Toutes se doublent d’une dimension réformiste implicite au sujet de ce que devrait être le judaïsme français. Que l’on songe, par exemple, au débat récent, ouvert par Gabriel Abensour dans la revue K et auquel ont répondu Julien Darmon et David Haziza, à l’ouvrage de Martine Cohen consacré au sujet, aux publications de Mikhael Benadmon ou de Sandrine Szwarc consacrées à la figure d’Eliane Amado Levy-Valensi ou encore aux appels lancés par Shmuel Trigano pour faire « renaître » l’école d’Orsay en Israël¹⁰

À plusieurs égards, ces tentatives font écho à des discours que j’ai moi-même relevés dans mes propres enquêtes auprès des autorités juives françaises contemporaines. Dans un entretien qu’il m’a accordé, le dirigeant d’une institution juive m’a par exemple confié déplorer la disparition des « juifs d’État » de la direction des grandes organisations juives généralistes. La plupart d’entre elles, regrettait-il, étaient aujourd’hui dirigées par des « fils de rabbins ». Forgée par le politiste Pierre Birnbaum, la notion de « Juif d’État » renvoie à un archétype d’Israélite ayant connu son apogée sous la Troisième République. Passés par les grands corps de l’État, ces derniers étaient fidèles (voire serviles) vis-à-vis de la République, c’est-à-dire au régime les ayant émancipés, ainsi qu’à l’idée de service public. En association avec une vieille bourgeoisie juive et un rabbinat formé à la culture classique française, ces Juifs d’État prenaient généralement la tête des associations communautaires¹¹. Dans un autre registre, la condamnation d’un judaïsme français ignorant à lui-même et qui serait dominé par l’influence israélienne se retrouve même dans des entrevues que j’ai pu faire avec certains acteurs du monde de l’Étude traditionnelle et des yeshivot. Ici, c’est le rabbinat, généralement consistorial, qui est pointé du doigt, pour son incapacité à produire de grands décisionnaires halakhiques ou, plus généralement, de grands Talmidei Hakhamim. Cette situation entraînerait alors une position de révérence et de soumission totale de l’orthodoxie française au monde haredi israélien, et notamment une mauvaise digestion de sa doctrine du « Daas Torah »¹²

Dans la plupart des cas, le regard mélancolique porté sur un « franco-judaïsme » alternativement en crise, disparu ou au potentiel non-advenu se termine généralement par un constat assez pessimiste vis-à-vis des écoles juives. Si leur rôle dans l’éducation à la pratique ou la construction d’identités « fortes » est accepté, ces dernières auraient du mal à susciter des vocations intellectuelles, malgré les efforts des équipes enseignantes.

Une droitisation des Juifs de France ?

Le 11 mars 2025, à l’initiative du député Rassemblement National Julien Odoul, des élèves de l’école Lucien de Hirsch visitent l’Assemblée Nationale. Cet épisode suscite une controverse, notamment parmi certaines figures de la gauche juive et des institutions juives généralistes. Yonatan Arfi, président du Crif, écrit ainsi sur X « L’histoire et les valeurs portées par l’école Lucien de Hirsch sont aux antipodes de l’histoire et des valeurs du RN. Cela aurait dû suffire pour que cette visite de l’Assemblée nationale ne se fasse pas avec un député RN. Indécence en plus de ce député qui n’hésite pas à instrumentaliser l’image d’enfants pour sa communication politique… »¹³.

Objet de plusieurs articles dans la presse¹⁴, les discours décrivant un glissement progressif vers la droite et l’extrême droite d’une partie importante des populations juives tendent à mettre en avant une même série d’enjeux : la montée de l’antisémitisme et une « souffrance à distance » pour Israël qui se conjuguent avec un malaise collectif face à la cause palestinienne. Ces deux sujets se télescopent alors dans une double tension avec les gauches et les minorités musulmanes en France. Mais en second lieu, les interrogations quant à la nature « chaude » ou « froide » de la menace historique posée par l’extrême droite opèrent également en toile de fond. Ici, les anciennes affinités entre « les » Juifs et les gauches renvoient à un monde largement disparu. Cette évolution est symbolisée par l’émergence d’Éric Zemmour ou par les déclarations de plusieurs figures historiques de la lutte contre l’antisémitisme, dont Serge Klarsfeld, ayant déclaré préférer le Rassemblement National à La France Insoumise en cas de duel entre les deux formations¹⁵. Dans les différents courants de gauche juive, cette question est généralement abordée sous le registre de la condamnation individuelle (de Zemmour, de Klarsfeld, etc.) ou institutionnelle (reprochant par exemple leurs prises de position à la direction du FSJU, du CRIF, de l’école Lucien de Hirsch ou du Consistoire). Néanmoins, et c’est peut-être le symbole d’un malaise, la droitisation potentielle de fractions importantes des populations juives fait elle-même rarement l’objet de commentaires. La seule exception semble se trouver chez certaines figures médiatiques, vieillissantes, arborant les habits (faciles à porter) du prophète maudit parmi les siens¹⁶. Dès lors que l’on quitte le commentaire éditorial, militant ou journaliste, le registre peut également être celui du constat détaché (en apparence). C’est par exemple le cas du sondeur Jérôme Fourquet, selon lequel « l’électorat juif serait passé à droite »¹⁷ ou, dans un autre registre, du politiste Frédéric Strak dans une étude récente sur les quartiers orthodoxes de Strasbourg et d’Aix-les-Bains¹⁸.

À la tête des institutions généralistes, les discours décrivant un déplacement inexorable d'électeurs juifs vers la droite, et surtout, vers l’extrême droite, peuvent faire l’objet de craintes. Un dirigeant rencontré récemment m’expliquait que pour lui, la désaffiliation des gauches par le public juif était actée. L’enjeu pour les grandes institutions juives était de « maintenir » le cœur de l’électorat juif à droite ou au centre-droit et d’empêcher les conversions à l’extrême droite. 

Ces réactions obéissent en réalité à une multitude de problématiques. D’une part, elles s’inscrivent dans une stratégie de long terme visant à construire des liens de confiance entre la direction des grandes institutions juives et les formations centristes de la vie politique. Cette alliance verticale assumée avec le pouvoir, dont l’objectif est d’assurer la survie et la protection du groupe¹⁹ repose sur le principe selon lequel il existerait des affinités électives « naturelles » entre la majorité des Juifs, forcément « républicains », et les partis de gouvernement. D’autre part, elles reposent sur l’idée que l’extrême droite, malgré les postures de dédiabolisation chez Marine Le Pen et l’émergence d’Éric Zemmour, reste l’ennemi historique des Juifs. 

Depuis plusieurs décennies, l’érosion du vote à gauche au sein des populations juives est un phénomène bien établi²⁰. Mais la difficulté qu’il y a à déterminer empiriquement les limites de la population juive française, notamment lorsque l’on s’éloigne du « cœur communautaire », doit nous inviter à être prudents face à des diagnostics trop unidimensionnels. Dans une enquête publiée il y a près de 40 ans déjà, Dominique Schnapper²¹ montrait que les choix électoraux des populations juives avaient généralement tendance à rejoindre ceux de leurs classes sociales d’appartenance. Et s’il faut prendre garde à ne pas généraliser ces conclusions à notre configuration actuelle, a fortiori depuis le 7 octobre²², il est bon de rappeler que, là aussi, les Juifs sont aussi des sujets sociaux : autrement dit, le rapport à la politique des Juifs de France est médié par leurs positions dans des rapports de classe.

L’ascension sociale des Juifs nord-africains de France 

Ces deux thématiques, fort différentes au demeurant, auraient cependant tout à gagner à une meilleure prise en compte du temps long de l’histoire sociale du judaïsme français. C’est ici qu’elles se rejoignent. De fait, le judaïsme français, comme indiqué en introduction, est un assemblage de différentes populations et de communautés. On y retrouve des intellectuels sépharades, des milieux ashkénazes laïcs yiddishisants, des communautés « haredisantes »ou encore les mouvements libéraux et conservative. Néanmoins, le cœur communautaire, celui qui a revitalisé le réseau synagogal et éducatif juif dans les décennies d’après-Shoah, reste principalement composé des enfants et petits-enfants d’exilés nord-africains. À ce titre, il faut le reconnaître, l’histoire du judaïsme français contemporain est d’abord celle de l’ascension sociale, en quelques décennies, de centaines de milliers de ces Juifs maghrébins ayant dû quitter leurs sociétés d’origines dans des conditions parfois particulièrement brutales. Pris dans la tourmente des indépendances, des nationalismes arabes, algériens, marocains ou tunisiens (chacun ayant ses spécificités), des premières guerres israélo-arabes et du double mouvement d’acculturation et d’émancipation (paradoxale) qu’offrait l’intégration à la société française, la quasi-totalité du judaïsme algérien ainsi que des fractions significatives des communautés marocaines et tunisiennes se sont retrouvées en France. 

La francisation des nouveaux arrivés avait déjà commencé en Afrique du Nord pendant les périodes coloniales (voir avant dans le cas marocain). Celle-ci s’est opérée soit par le biais des écoles de l’Alliance Israélite Universelle au Maroc et en Tunisie, soit par l’intégration en 1870 à la citoyenneté française en Algérie. En fonction des situations, les Juifs ont progressivement été amenés à occuper une position intermédiaire entre les autorités françaises et les majorités musulmanes et arabophones²³. Cette situation était typique de la façon dont le colonialisme peut brutaliser des sociétés, tout en ouvrant certaines populations, parfois indépendamment des autorités coloniales elles-mêmes, à des formes d’émancipation relative. 

Or, au sortir de la Shoah et de la seconde guerre mondiale, le judaïsme français, lui, est exsangue. De fait, l’arrivée entre 1950 et 1970 de plus de 200 000 Juifs venus d’Algérie, de Tunisie et du Maroc vient très largement le redynamiser²⁴.  L’enjeu de l’intégration économique pour ces nouvelles populations est massif. Les femmes doivent entrer sur le marché du travail. L’écosystème d’entraide juif construit dans l’après Shoah se mobilise alors pour organiser l’accueil. À Paris, Marseille ou Toulouse, le FSJU, le Joint ou le Comité de bienfaisance israélite mettent en place des dispositifs de soutien aux nouveaux arrivants. À l’instar de Créteil ou de Sarcelles, ces derniers investissent certaines banlieues qui deviennent de nouveaux centres du judaïsme français. De nombreuses villes moyennes où la présence juive avait disparu depuis des siècles voient émerger des petites communautés algériennes, marocaines ou tunisiennes. D’autres vieux foyers juifs sont transformés. C’est par exemple le cas de Strasbourg qui accueille une importante communauté de Juifs de la région du Mzab, en Algérie. Ces nord-africains participent à renouveler démographiquement le judaïsme français au point de devenir majoritaire au cours des décennies suivantes. Ainsi, dans son étude publiée en 2011, Erik Cohen estimait qu’entre 1975 et 2002, les Sépharades étaient passés de 50 % à 70 % de la population juive²⁵

En Afrique du nord, les Juifs avaient toujours compté des fractions bourgeoises, petites-bourgeoises ou commerçantes, avec des spécificités selon les pays ou les régions. L’accès des Algériens à la nationalité française par exemple, leur a ouvert les portes du fonctionnariat comme levier d’ascension sociale. Néanmoins, et de manière générale, en quelques générations après les départs, cette population a connu une importante mobilité de classe. À Paris, cette évolution est symbolisée par les déplacements résidentiels des populations juives : du nord-est de la capitale et de sa petite couronne vers les arrondissements de l’ouest et les Hauts-de-Seine.

Il est vrai que les données dont nous disposons à ce sujet sont à la fois anciennes et éparses. Elles ne suffisent pas, à elles seules, à dresser un portrait statistique complet. Pour autant, elles permettent de proposer un tableau à tout le moins impressionniste de la situation. Aussi, si la part des ouvriers dans la population active générale a baissé pendant la même période, le phénomène observé chez les Juifs est sans commune mesure. La population juive ouvrière, autrefois symbolisée par les manufactures textiles dans le quartier du Sentier à Paris²⁶, est aujourd’hui résiduelle. Ainsi, toujours selon Erik Cohen, entre 1975 et 2002, la part des ouvriers dans la population juive est passée de 10,3 % à 1,77 % et rien n’indique que les choses se soient inversées depuis 20 ans. À l’inverse, celle des professions libérales, des cadres et des professions intellectuelles est passée de 25,3% à 40,25%. Si ces derniers étaient plus nombreux chez les Ashkénazes dans les années 1970, leur part est plus haute chez les Sépharades que dans l’ensemble de la population juive à partir du début des années 2000²⁷. Dans une étude de 2005 réalisée pour le compte de l’agence juive, Erik Cohen était arrivé à la conclusion que les Juifs occupant des professions libérales, notamment les médecins, étaient surreprésentés dans l’engagement communautaire ainsi que dans les perspectives d’aliyah (ces dernières touchant généralement les personnes les plus investies dans la vie juive)²⁸. Cette observation rejoint celle que j’ai pu faire lors de mes propres séjours ethnographiques au sein de très nombreux milieux juifs depuis près de 10 ans²⁹. Les fruits économiques de cette mobilité sociale, en tout cas chez un noyau de personnes impliquées dans la vie communautaire, sont significativement réinvestis dans les institutions juives. 

Ces formes d’engagement communautaire s’appuient sur des visions du monde spécifiques. Il me semble que cette mobilité sociale sépharade, notamment par la poursuite de carrières dans les professions libérales ou la création d’entreprises, est souvent indissociable d’un rapport à la judéité prioritairement fondé sur cet impératif de fidélité dont je parlais en introduction. Certes, les personnes choisissent d’abord de s’engager dans des carrières médicales ou des aventures entrepreneuriales pour des raisons personnelles et familiales. Mais ici les stratégies purement individuelles qui peuvent orienter la recherche de réussite économique se conjuguent avec la liberté de culte que permettent ces activités et la perspective de soutenir financièrement des initiatives communautaires. De fait, l’expérience collective d’un groupe se fonde généralement sur une multitude de stratégies éducatives et professionnelles, individuelles et familiales, qui, additionnées, finissent par former une mosaïque.

Le principe de fidélité à la « nord-africaine » qui s’en dégage est d’abord orienté vers l’idée que l’on se fait de la judéité et du collectif, plus que sur une judéité ou le collectif « réels ». Elle se déploie quel que soit le degré de compétences juives réelles des personnes (maîtrise de l’hébreu, des méthodes d’étude du Talmud, etc.). Il me semble également que cette fidélité à l’objet « judaïsme », vécu comme un tout cohérent, implique également une grande confiance accordée aux autorités semblant les plus compétentes (donc bien souvent, le monde haredi israélien), étendue parfois à la France, et surtout, à l’idée d’Israël. Bien entendu, nul essentialisme ou généralisation ici. Il s’agit simplement d’une observation de ce qui semble aller de soi dans un univers social donné, à une époque spécifique et qui fonde l’expérience des personnes, y compris lorsque des individus peuvent s’en éloigner. Or, il me semble que cet impératif de fidélité – et l’unicité du judaïsme qu’il permet d’entretenir - a probablement protégé le judaïsme français d’une sectorisation trop forte à l’israélienne ou à l’américaine. Et c’est justement à partir de l’impressionnant écosystème institutionnel communautaire qu’il a permis de structurer et de rendre vivant que peuvent émerger des interrogations sur un renouveau, une perpétuation et une redécouverte du « franco-judaïsme ».


L’importance de l’histoire sociale

Aussi centrales que soient les idées et les stratégies politiques, leur histoire ne peut s’écrire en faisant abstraction des processus matériels qui les sous-tendent. De fait, les Juifs ne traversent pas seulement leur époque en tant que collectif ethnoreligieux ou en tant que sujets politiques. Ils la traversent également en tant qu’individus insérés dans des rapports de classe, de voisinage ou de consommation³⁰. Les formes prises par les judaïsmes américains dans la seconde moitié du XXe siècle en sont un exemple. Du Serious Man des frères Coen aux camps de vacances organisés par pratiquement tous les différents mouvements juifs en passant par la surreprésentation des Juifs américains dans l’establishment libéral (au sens politique du terme), la vie juive outre-Atlantique porte l’empreinte de sa propre histoire de mobilité sociale. Celle-ci fut également indissociable du déplacement vers les banlieues aisées à partir des années 1950-1960, d’une fraction significative des masses juives arrivées au début du siècle pour fuir les pogroms en Europe de l’Est. Aussi, sans céder à la tentation d’une mauvaise vulgate marxisante à la fois déterministe et simpliste³¹, cet article propose d’intégrer ces variables dans les récits que les Juifs français construisent à propos d’eux-mêmes.  

Premièrement, en France, en revenant au thème de la droitisation, il serait productif de réfléchir aux effets politiques de l’ascension sociale des Juifs nord-africains. Bien entendu, cette histoire ne peut qu’être indissociable des autres transformations politico-culturelles qui l’ont affectée et qui n’ont pu qu’avoir des effets sur les dynamiques de « droitisation » politique. Aussi, il est incontestable que les cicatrices produites par les exils d’Afrique du Nord nourrissent le rapport des franco-sépharades au fait politique. Cette histoire se combine avec le rapport à Israël, à la question palestinienne et aux autres diasporas nord-africaines. De même, la recherche, généralement anglophone, a depuis longtemps montré que les membres d’un groupe ethnique inscrits dans d’intenses réseaux de solidarité internes développent des identités plus « épaisses » (thick), ce qui influence en retour leurs répertoires d’actions. Comme le souligne le sociologue Andreas Wimmer, lorsque des individus partagent des cadres culturels bien identifiables et sont liés par des alliances fortes dans la vie quotidienne, la défense du groupe et son honneur peut tendre à devenir un prisme structurant leurs engagements collectifs³²

Néanmoins, outre le rôle structurant de l’antisémitisme ou de l’influence centrifuge exercée par les identités « épaisses » et l’engagement communautaire, les trajectoires de classe ont, elles aussi, des effets politiques indirects. Le choix d’encourager ses enfants à suivre des études de médecine, de droit, d’ingénierie, ou l’incitation à poursuivre des aventures entrepreneuriales, produisent tout à fait logiquement des proximités sociales avec les milieux médicaux, juridiques, de l’ingénierie et de l’entrepreneuriat. Or, la sociologie électorale a depuis longtemps montré les surreprésentations de ces secteurs professionnels dans les électorats de droite et/ou d’extrême droite. Par ailleurs, si l’ascension sociale est productrice de proximités nouvelles, elle est tout autant génératrice de distances sociales. Or, tout, dans la société française contemporaine, tend à opposer le monde de l’entrepreneuriat ou des professions libérales à celui de l’enseignement public, du syndicalisme ou des sciences humaines et sociales à l’université, c’est-à-dire précisément des bastions électoraux des différentes gauches. Plus encore, à l’échelle de la ville et ses divisions ethniques, l’univers culturel des (petites) bourgeoisies économiques dans lesquelles ont atterri une part significative des enfants et petits-enfants d’exilés juifs nord-africains s’oppose également au monde des « quartiers populaires » et ses minorités sous-prolétarisées. 

Loin de constituer des variables autonomes agissant les unes ou les autres « toutes choses égales par ailleurs », tous ces facteurs se conjuguent pour créer, ensemble, et dans un même mouvement, l’expérience franco-sépharade contemporaine.  À la fois les trajectoires de classes, le rôle structurant de l’impératif de survie, le rôle des identités « épaisses » dans le développement de solidarités communautaires, la « souffrance à distance » pour Israël, les controverses liées à l’antisémitisme à gauche, et les violences physiques produites par l’antisémitisme de « quartier »³³ créent des conditions structurelles favorables au développement d’affinités électives avec des forces politiques de droite et d’extrême droite. Ces dernières sont par ailleurs travaillées en retour par des acteurs issus de ce camp politique, trop heureux d’utiliser la question juive pour renverser le consensus moral en leur faveur. Ceux-ci sont par ailleurs de plus en plus épaulés par une droite juive francophone, qu’elle soit en France ou en Israël. Malgré une opposition historique au Front National, celle-ci est aujourd’hui bien contente de sortir de sa « solitude » et de se trouver de nouveaux alliés promettant protection aux Juifs de diaspora et soutien inconditionnel à Israël. 

Il est bien entendu très important de nuancer tout diagnostic trop unidimensionnel. Tout d’abord, d’autres fractions du monde juif sont, elles aussi, traversées par leurs propres dynamiques de « droitisation », y compris au sein de milieux plus ashkénazes, ce qu’illustre le cas Klarsfeld. Ensuite, il existe de nombreux contre-feux, y compris dans le monde sépharade. Enfin, différents microcosmes, notamment dans l’orthodoxie, continuent de développer une salutaire distance avec le politique, quels que soient les affects individuels de leurs membres. Pour autant, ces différents bémols ne doivent pas, à mon sens, justifier le déni de tendances lourdes touchant le judaïsme français actuel. De fait, l’invocation de la mémoire d’une Shoah toujours plus lointaine, de la persistance de préjugés antisémites dans les électorats d’extrême droite ou l’éventuelle promesse d’alliances heureuses avec des gauches nettoyées de leur antisémitisme me semblent faire peu de poids pour contrer les forces sociales qui sous-tendent les dynamiques de droitisation.  

Venons-en maintenant aux interconnexions entre le « franco-judaïsme » et l’ascension sociale des sépharades. Pour les introduire, citons le texte publié sur le site de la revue K, où Julien Darmon fait le lien entre l’état actuel de l’école juive et la situation intellectuelle du judaïsme français : « Comment transmettre la richesse du patrimoine culturel français à des élèves auxquels on explique dans le même temps que les études servent à décrocher un métier qui rapporte le plus possible – avec, dans le cas de l’école juive, un vernis de pratique religieuse dont la fonction est avant tout identitaire ? Il ne faudrait cependant pas croire que les responsables de l’éducation juive en France adhèrent à ce schéma délétère ; (…) tous déplorent le rapport consumériste des parents d’élèves et, conséquemment, de leurs enfants et tous rêvent de ressusciter un certain franco-judaïsme pétri de religiosité intelligente, d’horizons culturels larges et d’engagement citoyen »³⁴

Comment penser cette injonction à « décrocher un métier qui rapporte le plus possible », sans d’abord la rapporter à la très classique injonction à la mobilité sociale qui parsème toute l’histoire des migrations ? D’autant plus que, dans le cas des Juifs nord-africains, celle-ci reflète un rapport au monde imprégné par cette forme de fidélité au judaïsme abordée plus haut. Mais il est vrai que cette dernière a paradoxalement contribué à pousser de nombreux Juifs vers des univers socio-professionnels où l’anti-intellectualisme peut aller de soi et qui s’accompagne souvent d’un certain mépris envers les filières en sciences humaines et sociales. Et il est également vrai que la situation de précarité généralisée dans la recherche, l’université et les industries culturelles rend la poursuite de ces dernières peu rationnelles dans l’optique d’un accès rapide à une certaine sécurité économique. 

Il existe néanmoins de petits foyers intellectuels juifs. Ces derniers sont entre autres abrités par quelques départements universitaires ou par certaines institutions juives telles que l’Alliance Israélite Universelle ou l’Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe. Ils sont pris en charge par des autodidactes, quelques universitaires, ou des militants et dirigeants communautaires. Dans ce cadre, il existe une petite, mais dynamique génération intellectuelle d’enfants et d'exilés de Juifs nord-africains en France. Mais outre l’enjeu de l’autonomie face aux grandes institutions juives, ces milieux tendent à flotter dans une « zone intellectuelle floue ». Ils sont limités d’un côté par une combinaison d’indifférence et de méfiance envers la « pensée juive » dans les milieux intellectuels non-juifs, et de l’autre, par une difficulté à atteindre le cœur du public juif, celui-là même qui fait l’objet de cet article. Un effet paradoxal de cette situation est également que ces espaces d’intellectualité juive tendent à attirer de façon disproportionnée des Juifs plus « éloignés » du cœur communautaire, ou en rupture avec ce dernier, et qui y importent des interrogations liées à leur propre expérience : mariages mixtes, exclusion des femmes du culte synagogal ou de l’Étude, etc. Si ces thématiques ont toute leur place au sein du débat juif, il n’en reste pas moins que le judaïsme français peut être assez aveugle à lui-même et aux dimensions les plus centrales de sa propre condition. Ainsi, paradoxalement, la fidélité, cet impératif porté par les Juifs nord-africains et qui a probablement sauvé le judaïsme français du dépérissement, contribue peut-être également à son propre aveuglement vis-à-vis de sa trajectoire historique. 

Le monde des batei hamidrash, celui de l’Étude, où l’expérience juive est pensée par la médiation des textes de la tradition, est une exception. L’une des forces de ce qu’il est convenu d’appeler « orthodoxie », notamment dans ses fractions les plus savantes, est sa capacité à maintenir une autonomie (relative) face aux grandes tendances qui traversent le monde extérieur. Et de fait, il existe de nombreux cercles et de petites yeshivot dans le paysage français. Les étudiants issus du cœur communautaire franco-sépharade y sont nombreux (même si le champ religieux israélien exerce une force d’attraction significative et irréversible). Cependant, les réflexions restent souvent cantonnées aux quatre murs des salles d’étude. Elles peinent à se diffuser, y compris au sein du monde juif lui-même. Par ailleurs, en fonction du degré d’ « harédisation » des différents milieux du Limoud, l’intérêt accordé à la condition juive contemporaine peut y être secondaire face aux objets d’investigation plus classiques de l’étude traditionnelle. Enfin, même au sein des batei hamidrash, les transformations sociales du judaïsme français gardent une influence. Le rapport aux textes de la tradition ne sera pas le même selon que l’on soit médecin, petit commerçant, entrepreneur ou professeur de philosophie au secondaire. Par ailleurs, l’analyse sociologique des pratiques culturelles a par exemple démontré depuis longtemps que notre rapport à l’abstrait varie fortement en fonction de notre éducation et des activités routinières auxquelles est dédiée la majorité de notre existence. Nos gestes quotidiens nourrissent notre rapport au monde. Il n’est pas surprenant que le monothéisme absolu de Maïmonide ait été plus facilement accessible à un Yeshayahou Leibowitz, professeur universitaire de chimie organique, qui, outre l’étude, dédiait l’essentiel de son temps éveillé à la contemplation d’entités physiques, qu’à une personne dont la majorité de l’existence est d’abord tournée vers la pratique quotidienne d’une activité ouvrière, commerçante ou médicale.

Aussi, la surreprésentation de certains secteurs professionnels chez les Juifs d’étude peut produire des rencontres particulièrement productives avec les textes, qu’il s’agisse des juristes, des programmeurs informatiques, des médecins, etc. Mais elle charrie également son lot d’angles morts. Je pense par exemple que le développement de cours de Torah abordant des thèmes très individualistes et mimant parfois le développement personnel, n’est peut-être pas entièrement étranger à l’histoire sociale du cœur communautaire. Un judaïsme trop petit-bourgeois porte en lui le risque d’être un judaïsme de l’entre-deux. Ni totalement ancré dans une religiosité populaire, centrée sur la résolution de problèmes pratiques et matériels, ni dans les grandes synthèses philosophiques et juridiques que permet l’affranchissement par rapport aux contraintes économiques.



Articuler dialectiquement fidélité et responsabilité 

Bien entendu, ces constats demeurent en grande partie spéculatifs. Nous manquons d’enquêtes approfondies sur les évolutions les plus récentes de la situation socio-économique des Juifs de France. Mais ces limites ne doivent pas être des freins à la réflexion et à l’action. Dans cette optique, je ne prétends pas offrir de solutions pratiques, mais seulement quelques pistes théoriques destinées au lectorat central de cette revue : à savoir des Juifs de gauche intéressés par la perspective de construire une « gauche juive ».  Dans certains milieux juifs de gauche, il existe un risque de jeter le bébé de la fidélité avec l’eau du bain de la droitisation et de l’anti-intellectualisme. Je crois au contraire qu’il est essentiel de maintenir et de développer des interactions avec le « cœur communautaire ». Les enjeux sont multiples. Il s’agirait, en premier lieu, de s’imprégner de cet impératif de fidélité — condition essentielle, entre autres, à la survie du judaïsme. Pour des raisons sociologiques plus larges, cette fidélité est souvent absente des trajectoires de nombreux Juifs de gauche — aussi sincères soient-ils — mais issus de milieux fortement assimilés, malgré de nombreuses exceptions. Pour qu’une gauche juive émerge comme sujet politique collectif et durable, ses partisans gagneraient à renouer pleinement avec le cœur de l’expérience juive, et à se détacher de certaines postures performatives, faussement judaïsantes, aussi superficielles que puériles — ce que Cynthia Ozick appelait le kitsch ethnique. Il en va de même du militantisme contre l’antisémitisme, objet central pour une partie des gauches juives, mais paradoxalement souvent déconnecté de l’expérience juive elle-même. 

Contre l’esthétisme romantique du « paraître » juif - fréquent chez des militants sincères mais profondément dé-judaïsés - il convient au contraire, me semble-t-il, de souligner les vertus socialisatrices des liens durables avec les milieux qui, discrètement mais réellement, portent le judaïsme français à bouts de bras. À ce titre, le militantisme juif de gauche gagnerait à être, même partiellement, inspiré par la sincérité et la fidélité au judaïsme que cultive ce cœur communautaire, largement issu, de fait, des mondes juifs nord-africains. Par extension, la fidélité s’accompagne d’une posture de modestie face à l’océan des sources traditionnelles juives. Une tradition qui, vue depuis la gauche, ne saurait être réduite — au mieux — à une simple boîte à outils servant à légitimer a posteriori des visions progressistes dont l’origine épistémique est extérieure ; au pire, à une caricature de pensée réactionnaire. C’est, paradoxalement, en s’éloignant d’une judéité instrumentale et intéressée — mise au service des mots d’ordre du moment — que des « Juifs de gauche » peuvent réellement explorer ce que recèlent de libérateur les textes bibliques, talmudiques et la tradition rabbinique.

Ceci étant posé, il faut maintenant reconnaître que la fidélité, si elle n’est pas adossée à un principe de responsabilité (que je préfère à la notion d’« éthique »), ou, dans un registre plus traditionnel, d’akhrayout (responsabilité), voire de derekh eretz (éthique), peut engendrer des aveuglements dont les conséquences sont dramatiques. De ce point de vue, une judéité entièrement fondée sur la fidélité à elle-même et au collectif, et qui se combine avec un impératif de survie, peut nous rendre sourds à certaines dérives. Les exemples sont nombreux. En lien avec les transformations socio-économiques du judaïsme français, ils incluent, nous l’avons vu, un certain anti-intellectualisme et l’établissement d’alliances avec des forces politiques profondément irresponsables, pouvant par ailleurs se retourner à tout moment contre les Juifs. Au-delà, une judéité entièrement tenue par les impératifs de fidélité et de survie produit aussi des aveuglements face à des enjeux internes tels que ceux des violences sexuelles dans le rabbinat, ou, dans un tout autre ordre, aux crimes de guerre actuellement commis par l’armée israélienne à Gaza.

Tout rapport au monde doit intégrer des mécanismes d’autorégulation face à ses propres excès. Il n’y a pas de pire angle mort pour un système épistémique que les dérives engendrées par sa propre logique et les impératifs moraux qui la sous-tendent. Les gauches révolutionnaires ont ainsi toujours eu du mal à s’autoréguler dans le rapport entretenu à leur propre violence. Cette difficulté est d’autant plus aiguë lorsque cette violence ne résulte pas d’un rapport de domination préexistant mais découle directement de la logique révolutionnaire elle-même. Il en est de même pour tout autre rapport collectif à l’existence qui ne disposerait d’aucun garde-fou interne face aux externalités négatives provoquées par les excès de ce qui fait sa raison d’être. 

Dans ses définitions juridiques les plus strictes, la responsabilité implique ainsi généralement l’obligation d’accepter et de réparer un tort commis ou, sur le plan pénal, d’accepter les châtiments prévus par la loi³⁵. Elle implique également une relation d’obligation envers certains tiers (« je suis responsable des actions de mes enfants »). Au-delà du droit, l’impératif de responsabilité, en tant que pratique sociale extra-juridique, n’est pas absente des milieux plus « communautaires » et/ou pratiquants, où le travail des traits de caractères (middot) fait partie du rapport général à l’existence. À l’échelle familiale, la solidité des rapports de solidarité intergénérationnelle dans ces milieux implique même des formes de responsabilité dont les populations plus marquées par la sécularisation et l’atomisation des sociétés modernes sont peut-être plus dépourvues. Mais cette responsabilité opère généralement à une échelle individuelle ou micro-sociale. Or, comme l’affirmait déjà le sociologue durkheimien Paul Fauconnet il y a plus d’un siècle³⁶, la responsabilité, même implicitement, est obligatoirement traversée par des dimensions à la fois collectives et symboliques qui engagent la totalité de la société, ou tout du moins, d’un groupe particulier.

« Nous » ne sommes pas seulement responsables en tant qu’individus, mais aussi en tant que parties prenantes d’ensembles sociaux plus larges – familles, groupes, classes, institutions, clans, nations, etc. – quels qu’ils soient, malgré la variabilité historique de leurs frontières. C’est évidemment le cas du collectif juif, malgré ses ambiguïtés définitionnelles. Aussi, agir selon un impératif de responsabilité intégrale – c’est-à-dire affranchie de toute fiction individualisante – doit permettre d’ouvrir, en interne, la question de la « bonne tenue » collective. Celle-ci engage autant nos rapports à l’altérité interne qu’au monde extérieur. Pour les Juifs, une exigence de responsabilité suppose donc la capacité d’être réflexifs et de rendre compte de nos actions – non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que sujet collectif, le Am Israel (peuple d’Israël) – dans nos rapports aux non-Juifs : qu’il s’agisse de nos sociétés de résidence au sens large, des autres diasporas, ou, dans le cadre israélien, avec les Palestiniens. 

Dans une perspective complémentariste du peuple juif, un midrash bien connu établit une analogie entre Israël et les quatre espèces de Soukkot. Chacune incarne un mode d’articulation différent entre fidélité à la Torah et bonnes actions, assemblées par le divin afin que les unes pallient les limites des autres³⁷. À ce titre, si les « Juifs de gauche » ont, eux aussi, un rôle à jouer, c’est peut-être, entre autres, celui de réinjecter dans le monde juif certains réflexes et savoirs issus de leurs propres expériences historiques. Premièrement, aussi isolés et assimilés soient-ils, leur simple présence au sein des espaces juifs plus classiques – à condition qu’ils s’imprègnent sincèrement du principe de fidélité – peut contribuer à atténuer les effets d’isolement et de bulles informationnelles qui appauvrissent de part et d’autre nos compréhensions du monde. Mais surtout, une gauche juive réellement constituée en sujet politique pourrait injecter dans le judaïsme contemporain une manière singulière d’articuler fidélité et responsabilité. 

Bien entendu, les trajectoires des juifs de gauche sont diverses. Des enquêtes empiriques seraient ici aussi les bienvenues. Mais dans le cadre de travaux qualitatifs que j’ai menés, j’ai souvent observé des profils semblables à ceux que l’on retrouve dans les gauches en général, caractérisés par une forte présence des classes moyennes intellectuelles, des fonctionnaires, des parcours marqués par les sciences humaines et sociales, etc. Combinées à des socialisations politiques marquées par une lecture matérialiste de l’histoire et une interrogation des rapports de domination, ces trajectoires pourraient permettre aux Juifs de gauche d’apporter un surcroît de réflexivité au débat juif en rappelant le collectif à ses obligations, y compris collectives. Mais à l’heure où la famine est utilisée comme arme de guerre par le pouvoir israélien, il est crucial de rappeler les responsabilités qu’implique l’exercice du pouvoir politique, notamment en matière de recours à la violence. Quand bien même son émergence constituerait une étape de l’espérance juive de fin d’exil, les diasporas juives — tout comme les Israéliens eux-mêmes — ne peuvent projeter sur un appareil d'État le schème d’une minorité en situation de faiblesse structurelle. 


Pour conclure, je voudrais insister sur l’importance du rapport dialectique entre fidélité et responsabilité. Si les Juifs de gauche peuvent enrichir le débat juif en y apportant des outils critiques, des savoirs historiques et des réflexes issus de leurs trajectoires singulières — autant d’éléments permettant de penser un principe de responsabilité intégrale — celui-ci ne saurait opérer sans être traversé, en retour, par le principe de fidélité. 

Dans la perspective esquissée plus haut, où la responsabilité est pensée comme une relation d’obligation entre deux parties, la rencontre avec la fidélité vient étendre le périmètre de ces obligations : elle engage une responsabilité à l’égard de l’héritage juif, de la tradition, du transcendantal, ainsi que des alliances historiques qui fondent l’expérience collective juive. Même lorsque cette responsabilité critique vise à se déprendre des réflexes défensifs dictés par certaines angoisses existentielles, elle ne saurait faire l’économie d’une conscience aiguë de la précarité persistante de la condition juive, y compris dans des contextes de reconnaissance ou de mobilité sociale.
C’est à la jonction de ces deux dynamiques — le croisement entre fidélité et responsabilité d’une part, et entre une gauche juive constituée en sujet politique entrée en interaction avec le « cœur communautaire » d’autre part — que peut naître une alchimie à la fois politique, spirituelle et intellectuelle. De cette alchimie pourraient émerger de nouvelles propositions institutionnelles, morales ou civilisationnelles dont nous avons, aujourd’hui, un besoin impérieux. Elles pourraient également offrir aux Juifs de gauche les moyens de contribuer activement aux grandes interrogations actuelles soulevées par les discussions portant sur la droitisation du judaïsme français et sur la fin du franco-judaïsme.


Ashley Mayer Thibault est sociologue. Il a soutenu une thèse à l’Université de Montréal en février 2025 sur la légitimité et l’autorité dans les monde juif francophone contemporain, notamment en France, au Québec et en Israël. Il est actuellement chercheur consultant et chargé de cours en sociologie. 

Notes de bas de page

  1.  Gershom Scholem,, Jean Bollack, et Pierre Bourdieu, « L'identité juive », Actes de la recherche en sciences sociales, n°35(1), 1980

  2.  Un phénomène par ailleurs assez banal dans l’histoire des migrations. Pour une revue de littérature, voir Jody Agius Vallejo et Lisa A. Keister, « Immigrants and wealth attainment: migration, inequality, and integration », Journal of Ethnic and Migration Studies, n°46(18), 2020

  3.  J’utiliserai alternativement les termes de sépharades et de nord-africains dans le texte afin de ne pas trop en alourdir la lecture. Mais il n’est pas question ici d’aplanir le judaïsme d’Afrique du nord sous le seul référentiel ibérique. 

  4.  Gabriel Abensour, « Un désarroi dans l’air », K la revue, 21 février 2024. https://k-larevue.com/un-desarroi-dans-lair-reflexion-sur-le-judaisme-francais-contemporain/

  5.  Julien Darmon, « Franco-judaïsme : Éloge de la complexité hexagonale », K la revue, 8 octobre 2024. https://k-larevue.com/franco-judaisme-eloge-de-la-complexite-hexagonale/

  6.  David Haziza, « Le franco-judaïsme qui aurait pu être », K la revue, 10 avril 2024. https://k-larevue.com/franco-judaisme/

  7.  Martine Cohen, Fin du franco-judaïsme? Quelle place pour les Juifs dans une France multiculturelle? Presses universitaires de Rennes, 2022.

  8.  Mikhaël Benadmon, « Éliane Amado Levy-Valensi : le défi de l’Universel dans la pensée israélienne », Pardès, n°59(2), 2016

  9.  Sandrine Szwarc, « Éliane Amado Lévy-Valensi : Itinéraires », ‎ Hermann Glassin, 2019

  10.  Shmuel Trigano, « Hineni! Le retour du sujet juif », Pardès, n°59(2), 2016

  11.  Pierre Birnbaum, Les fous de la République : histoire politique des Juifs d'État, de Gambetta à Vichy, Fayard, 2014.

  12.  Yitzchak Blau, « " Daas Torah" Revisited: Contemporary Discourse about the Rabbinate », Tradition: A Journal of Orthodox Jewish Thought, n°48(⅔), 2015.

  13.  Yonathan Arfi, X, 12 mars 2025. https://x.com/Yonathan_Arfi/status/1899778429697868252

  14.  Voir par exemple Mayeul Aldebert, « ‘Je n’ai plus d’allergie’ : la tentation inédite du vote pour le RN chez les Français juifs », Le Figaro, 20 juin 2024. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/je-n-ai-plus-d-allergie-la-tentation-inedite-du-vote-pour-le-rn-chez-les-juifs-francais-20240620 ou Pierre Bafoil, « Zemmour : les Juifs pour cible », Les jours, 20 avril 2022. https://lesjours.fr/obsessions/election-presidentielle-2022/ep8-juifs-zemmour/

  15.  « Législatives : Serge Klarsfeld préfère le RN à LFI », Libération, 16 juin 2024, https://www.liberation.fr/politique/elections/legislatives-serge-klarsfeld-prefere-le-rn-a-lfi-20240616_WNEC5Z55CZAHBLO7MBDNXBFH2I/

  16. C’est par exemple le cas de Gérard Miller, lequel a publié une tribune condamnant la « droitisation » d’une partie des Juifs de France. Voir « Jamais un aussi grand nombre de juifs français n’ont perdu à ce point leur boussole morale », Le Monde, 11 septembre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/11/gerard-miller-jamais-un-aussi-grand-nombre-de-juifs-francais-n-ont-perdu-a-ce-point-leur-boussole-morale_6188796_3232.html ou, dans un autre ordre d’idées, chez Charles Enderlin dans un ouvrage de 2019. Voir Charles Enderlin, Les Juifs de France entre République et sionisme, Média Diffusion, 2020.

  17.  Philippe Bilger, « L’électorat juif vote à droite », Causeur, 8 novembre 2023, https://www.causeur.fr/electorat-juif-jerome-fourquet-269350

  18.  Frédéric Strack, « L'enclave ou le ghetto : rapport à l'hors-groupe et socialisation politique chez les Juif.ve.s orthodoxes », Revue française de science politique, n°73(4/5), 2024

  19.  Lequel inclut, à leurs yeux et avec toutes les ambiguïtés que cela suppose, l’État d’Israël et sa société. 

  20.  Erik Cohen, The Jews of France today: Identity and values. Vol. 18, Brill, 2011.

  21.  Dominique Schnapper et Sylvie Strudel, « Le ‘vote juif’ en France », Revue française de science politique, n°33(6), 1983,

  22.  Jérémy Guedj et Yoann Morvan, « Les Juifs de France à l’épreuve des élections de 2024 », Esprit, n°9, 2024

  23.  Pierre-Jean Le Foll Luciani, « Les juifs d’Algérie face aux nationalités française et algérienne (1940-1963) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°137, 2015

  24.  Colette Zytnicki, « Du rapatrié au séfarade. L’intégration des Juifs d’Afrique du Nord dans la société française : essai de bilan », Archives juives, n°2, 2005

  25.  Erik Cohen, The Jews of France today: Identity and values. Vol. 18, Brill, 2011.

  26.  Lequel, dans les dernières décennies, rassemblait une population d’artisans, de commerçants et d’ouvriers autant ashkénazes que sépharades. 

  27.  Sergio DellaPergola, « Sephardic and Oriental Jews in Israel and Western Countries: Migration, Social Change, and Identification »,dans Sephardic Jewry and Mizrahi Jews: Studies in Contemporary Jewry 22, 2007

  28.  Erik Cohen, « Jews practicing liberal professions in France and their intention of making ‘aliya’ », Jérusalem : département de l’aliyah du ministère de l’immigration, 2005.

  29. J’ai, par exemple, participé à des campagnes de collectes de dons pour plusieurs yeshivot.

  30.  Même si l’une des raisons d’être du microcosme harédi, avec plus ou moins de succès, est de neutraliser certains des effets les plus forts de la condition sociale sur l’existence juive. Quoi qu’il en soit, il est important de distinguer le « cœur » communautaire du judaïsme français des petites communautés autarciques, « haredite » à la française de type rue Pavée ou Aix-les-Bains.

  31.  Comme l’expliquait par exemple Stephen Sharot dans son étude sociologique des mouvements messianiques et millénaristes Juifs, si ces derniers ont généralement émergé lors de situations de crises, aucune variable sociale unique ne permettait d’expliquer l’avènement ou non d’un messianisme juif. Voir Stephen Sharot, Messianism, mysticism, and magic: A sociological analysis of Jewish religious movements, University of North Carolina Press, 1982.

  32.  Andreas Wimmer, Ethnic boundary making: Institutions, power, networks, Oxford University Press, 2013, pp : 104-105

  33.  Didier Lapeyronnie, et Laurent Courtois, « L’intégration amère », dans Ghetto urbain: ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui. France, Laffont, 2008.

  34.  Julien Darmon, « Franco-judaïsme : Éloge de la complexité hexagonale », K la revue, 8 octobre 2024. https://k-larevue.com/franco-judaisme-eloge-de-la-complexite-hexagonale/

  35. Paul Ricoeur, « Le concept de responsabilité. Essai d'analyse sémantique » dans Esprit (1940-), 1994

  36. Paul Fauconnet, La responsabilité : étude de sociologie, F. Alcan, 1920.

  37.  Vayikra Raba 30:12

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