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La fidélité comme condition
Les Juifs votent désormais à droite, dit-on, alors on cherche les causes de ce revirement dans un abandon des Juifs par la gauche. Et si les causes étaient aussi autonomes, liées à la sociologie du monde juif français, essentiellement sépharade, qui a connu une importante ascension sociale ces dernières décennies. C'est ce que se propose d'analyser le sociologue Ashley Mayer-Thibault dans ce texte. Il fait l’hypothèse d’un lien entre l’ascension sociale des sépharades de France et un impératif de fidélité au judaïsme. L’article se conclut par une invitation lancée aux « Juifs de gauche » à prendre au sérieux la question de la fidélité, tout en soulignant l’importance qu’il y a à la conjuguer avec un impératif de responsabilité.
Des marges du texte aux marges de la ville
Les marges ne sont pas seulement périphériques : elles sont le lieu d’un art de lire. À partir d’un cas talmudique d’homicide involontaire dans le domaine public, Emmanuel Bonamy explore les liens entre topologie juridique et topologie urbaine, entre marginalité textuelle et marginalité sociale. Des forêts aux décharges, des commentaires en marge de la page aux espaces invisibilisés de la ville, il s’agit d’explorer comment le Talmud donne toute sa place à une périphérie chargée de la violence du refoulement.
Qui est juif ?
Qui est juif ? En Israël; la question n’est pas seulement théologique ou identitaire mais bien un enjeu juridique et politique central, révélateur des tensions qui structurent le projet sioniste depuis ses origines. À travers les affaires Rufeisen (1962) et Shalit (1970), Alexandre Journo explore les lignes de fracture entre centre et marges, en montrant comment l’État-nation hébreu produit, au cœur même de ses institutions, une norme juive fluctuante, se cherchant à tâtonsentre les legs d’une judéité diasporique et une identité israélienne en construction.
À la croisée de la sociologie, du droit et de l’histoire juive, cette réflexion éclaire les paradoxes d’une nation aux frontières fraîchement tracées ne cessant de questionner les contours de son appartenance.
À la gauche de Dieu
Sophie Goldblum prolonge la réflexion entamée dans notre précédent numéro qui interrogeait les contributions juives à la pensée de gauche ; en s'appuyant ici sur quelques feuillets talmudiques soigneusement choisis. Elle y met en lumière la manière dont le droit juif envisage les limites de la propriété privée et la redistribution sociale et interroge la frontière entre charité et justice. L’autrice inscrit sa réflexion dans un mouvement plus large de remobilisation des sources traditionnelles par une certaine gauche, notamment aux États-Unis, qui cherche à élaborer une éthique politique enracinée dans la tradition juive.
Relire le herem de Spinoza
En 1953, David Ben Gurion se proposait de lever, à tout le moins en Israël, le herem de Spinoza. Soixante-dix ans plus tard, la communauté juive d’Amsterdam ne semblait pas avoir reçu la nouvelle, elle la maintenait en vigueur et la redoublait contre un philosophe spinoziste israélien. Rivka DLB, également spinoziste, retrace pour Daï l’histoire de cette excommunication, ce qu’elle impliquait pour la vie-même de Spinoza et ré-inscrit Spinoza dans une tradition juive de rationalisme, celui de Maïmonide.
De deux pôles du judaïsme
À travers une analyse dense et documentée, Eli Amozeg explore la polarité qui traverse le judaïsme contemporain entre deux figures archétypales : les « Juifs du dedans », ancrés dans la tradition halakhique, et les « Juifs du dehors », engagés dans les arts, les sciences ou la pensée critique. Loin de se limiter à une opposition binaire, l’auteur examine les dynamiques de centre et de marge, les enjeux de légitimité, de transmission et de reconnaissance intellectuelle, tout en interrogeant la capacité du judaïsme à maintenir une forme de cohérence dans un monde pluraliste. Ce texte propose une réflexion sur les conditions d’un dialogue fécond entre fidélité et créativité, héritage et dissidence.
À la marge du Tanakh : la tribu de Judah, la religion populaire et les origines du judaïsme
« Souviens toi des jours anciens » nous intime la Torah (Dt.32:7). L’histoire de nos ancêtres n’est pas toujours celle qu’on se remémore, consignée dans nos livres sacrés. Dans cet article, Elie Beressi nous propose de faire un pas de côté ; à la recherche d’un judaïsme pré-exilique et de ses traditions particulières. Un « judaïsme » où la fidélité à YHWH n’est pas toujours indexée à la norme établie par la Torah telle qu’elle fut compilée par les élites sacerdotales déportées en Babylonie. Un judaïsme syncrétique, populaire, archaïque, effacé par les réformes d’Ezra et des scribes rapatriés de Babylone, à la marge de l’histoire d’Israël et de la mémoire juive contemporaine, victime de l’Histoire.
Affamer
À Gaza, la famine n’est pas un effet collatéral de la guerre : c’est une méthode. Des déclarations officielles israéliennes aux blocages de l’aide humanitaire, en passant par la destruction systématique des infrastructures vitales, tout indique une stratégie assumée de privation. Le recours à la faim comme arme soulève des questions morales, historiques et politiques majeures. Que signifie affamer délibérément une population ? Et que reste-t-il de notre humanité quand nous refusons sciemment, de nourrir ceux qui ont faim ? C’est ce à quoi se propose de répondre la rabbin Bitya Rozen-Goldberg en convoquant la tradition juive et la morale la plus élémentaire.
Juif, de gauche et laïque : une éthique de l’inconfort ?
On ne sait pas très bien situer les Juifs laïques, on les comprend mal, du dedans comme du dehors. Pourtant, ils représentent une belle part du monde juif, peut-être une majorité, qui cependant ne se définit que très mal et collectivement et comme norme. Qu'est-ce que cette identité juive qui se construit sans le judaïsme tout en en revendiquant son contenu universaliste, et qui ce faisant, devient une identité seulement héréditaire ? Pour mieux saisir cette identité introuvable et lui donner un contenu positif, Daï a proposé à Noé Burko de l'incarner. Dans cet article intime, il dresse un portrait vivant du juif laïque qu'il est, dans lequel il mêle sa politisation et son expérience de l'antisémitisme.
#4 Vous avez dit « Juif de gauche » ?
Nous revendiquons être des « Juifs de gauche », ici, à Daï. Idem pour Golem, qui signe chacun de ses communiqués du sceau de « juif de gauche ». La qualification mérite peut-être quelque clarification. Qu’est ce, au juste, qu’un·e juif·ve de gauche ?
À la veille du 7 octobre, la gauche juive semblait moribonde ; et les Juif·ves de gauche y taisaient leur judéité quand ils ne se conjuguaient pas tout bonnement au passé. Nous reviendrons sur les mécanismes qui ont contribué à cette léthargie. Loin d’avoir enrayé ce phénomène, le 7 octobre a acté aux yeux d’un grand nombre de Juif·ves qu'ils et elles ne pouvaient plus compter sur une gauche dorénavant dominée par LFI. Certains se croyant même trouver un refuge dans les bras que leur tendent comme un piège l'extrême droite. « Ce qu'il reste de gauche dans la communauté juive de notre pays » s’est cependant ré-agrégé à la suite du choc du 7 octobre faisant naître de nouveaux foyers de gauche juive, que la création de Golem illustre parfaitement. D’où cette ténacité à revendiquer la formule, à ponctuer chaque affirmation d’un « d’où parle-t-on » : comme juif·ves de gauche !
Une lecture juive de la République
L’Émancipation des Juifs de France charrie depuis la fin du XIXᵉ siècle des préjugés tenaces : elle serait un cadeau piégé fait aux Juifs. Un penseur juif, né citoyen français en 1796, Joseph Salvador, y voyait au contraire non seulement un étau enfin desserré pour les Juifs de France mais l’aboutissement de la loi de Moïse. Le professeur de philosophie et par ailleurs ancien ministre socialiste Vincent Peillon lui a consacré un livre fouillé en 2022, Jérusalem n’est pas perdue. Nous l’interrogeons aujourd’hui, pour explorer ce que la République sociale et égalitaire — la gauche avant la lettre — doit au judaïsme.
La part juive de Léon Blum
Entré en politique au moment de l’affaire Dreyfus, Léon Blum est une des figures tutélaires du socialisme français. Longtemps minoré, on redécouvre aujourd’hui son judaïsme comme pierre angulaire de son engagement à gauche. En quoi son rapport au judaïsme est-il indissociable de son socialisme ? Celui-ci ne serait-il pas l’aboutissement même de son judaïsme ? Quelle place tient alors la lutte contre l’antisémitisme, et comment articule-t-il son sionisme avec ses convictions ? Nous avons interrogé Milo Lévy-Bruhl, président de la société des Amis de Léon Blum et auteur d’une thèse sur la doctrine socialiste de Léon Blum.
« Ils étaient communistes parce qu’ils étaient juifs »
Il y a existé pendant longtemps un « secteur juif » au parti communiste français. Cela peut étonner aujourd’hui. Il ne s’agissait pas d’y circonscrire les Juifs, ni même de ne pas consciemment forcer les Juifs communistes à effacer leur judéité, plutôt de répondre à une réalité sociologique à la fin des années 20 : une part de la communauté juive immigrée était encore yiddishophone et très politisée à gauche, il fallait leur faire une place au sein du PCF. Zoé Grumberg publie en juin 2025 sa thèse Militer en minorité ? Le secteur juif du Parti communiste français après la Libération.
Les femmes juives américaines : une tradition d’engagement dans les luttes progressistes
L’histoire des luttes progressistes aux États-Unis est jalonnée de figures de femmes, à la judéité souvent ignorée, et qui ont occupé une place centrale dans les combats pour la justice sociale, l’égalité et les droits civiques. De l’organisation de grèves ouvrières aux mouvements féministes radicaux, en passant par la lutte contre la ségrégation raciale, ces militantes juives ont su marqué l’Histoire.
Dans cet article, Johanna Lemler nous propose une plongée dans cet héritage de lutte et de solidarité, en retraçant l’influence de figures marquantes telles que Emma Lazarus, Clara Lemlich, Bella Abzug ou Gloria Steinem.
Réflexions « post-abyssales » sur l’émancipation juive
Les gauches se revendiquant des pensées post/décoloniales sont souvent présentées comme étant aveugles aux luttes et vies juives. Peinant depuis des années à articuler simultanément lutte pour l’autodétermination palestinienne et pour l’émancipation juive, ces tensions éclatèrent au grand jour le 7 octobre. La chercheuse Alexia Levy-Chekroun analyse comment articuler une pensée véritablement décoloniale avec la lutte contre l’antisémitisme et l’émancipation des Juif·ves en France et ailleurs. Si les théories décoloniales ont servi de pretexte à la montée d’un certain antisémitisme, il existe néanmoins des moyens pour les juif·ves de les réinvestir. C’est cela qu’Alexia Lévy-Chekroun accomplit ici, en mettant en lumière la proximité historique, intellectuelle et religieuse entre pensée juive et décoloniale.
Dorshei Tzedek : la Justice n’est pas au Ciel
Pour ce nouveau numéro de Daï, nous offrons à nos lecteurs un aperçu de la réflexion de l’articulation entre gauche et judéité depuis Israël, où les catégories théologiques juives sont largement mobilisées dans la scène publique, et largement instrumentalisés dans l'arène politique. Dans son éditorial de Dorshei Tzedek, Benyamin Singer présente succinctement l’ethos qui anime cette nouvelle publication.
Il sera une fois, un « socialisme juif »
Au cours des dernières décennies, l'idée que le capitalisme — sous sa forme néolibérale — constituait l'horizon indépassable de l'organisation économique et sociale a été remise en question. Dans ce contexte, le socialisme refait surface dans les discussions publiques, y compris au sein des communautés juives.
Le rabbin Vincent Calabrese examine les visions du socialisme développées par deux figures du judaïsme orthodoxe, Simon Federbush et Isaac Breuer. Tous deux ont cherché, à leur manière, à inscrire la critique du capitalisme dans une perspective juive, en s’appuyant sur la Torah et la tradition rabbinique. À travers leurs réflexions, nous verrons comment le socialisme peut être le terreau d’une réponse juive aux injustices économiques, faisant écho à l'injonction divine : la justice tu poursuivras¹.
La gauche et l’antisémitisme : retour sur un impensé avec Misrahi
Ce numéro s’interroge d’abord et avant tout sur le rapport des Juifs à la gauche, mais nous ne pouvons faire l’économie de la réciproque, celui du rapport de la gauche aux Juifs. La question de l’antisémitisme de/à gauche est aujourd’hui devenue un lieu commun, depuis la mainmise de la France insoumise sur ce camp politique. Rivka DLB nous propose d’y réfléchir sur le temps long, en revenant à Marx, et nous offre une lecture critique de la Question juive de Marx de Robert Misrahi. L’antisémitisme qui prospère à gauche tient-il de sa lecture économique du monde et du fait juif ? Quelle préposition utiliser, antisémitisme « de » gauche ou « à » gauche ? Voilà ce à quoi elle se propose de répondre.
Salam Shalom Salut
Salam, Shalom, Salut est un projet créé par SOS Racisme en 2018. De jeunes bénévoles au sein de l’association, d’horizons culturels variés, formés à la lutte antiraciste, à l’histoire des différentes migrations et des mémoires traumatiques, part faire un tour de France à la rencontre d’autres jeunes pour débattre et déconstruire les préjugés racistes qui circulent dans notre société. Le 11 février dernier, Mathilde Roussillat Sicsic recueillait les propos de Dominique Sopo, président de SOS Racisme, entouré de militants de l’association.
« L’antisémitisme est un danger pour les Juifs et pour le mouvement social tout entier »
Jonas Pardo et Samuel Delor sont les co-auteurs du Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme (Editions du commun, 2024). Il s’agit à la fois d’une synthèse historique qui permet de comprendre l’antisémitisme sur le temps long et d’une compilation organisée de propositions à destination du mouvement social. Leurs auteurs nous y apprennent à reconnaître les mécanismes antisémites souvent cryptés pour les combattre efficacement. Nous les avons interrogés pour Daï.